Arctique : la guerre froide n’aura pas lieu

4 Mars 2013


Parent pauvre des océans, monstre froid à l’origine du naufrage du Titanic, l’Arctique, réchauffement climatique oblige, a fait son retour comme sujet prégnant de l’actualité. Cependant, Eldorado de l’or noir pour certains, future autoroute maritime ou pur rideau de fumée pour d’autres, les enjeux sont tels qu’il devient difficile de démêler le vrai du faux. En l’espèce, loin d’une guerre froide diplomatique, sa possession n’est pas le réel problème, pas plus que les supposées réserves de pétrole abritées sous des mètres de glace. Non, la lutte pour l’Arctique se pare d’accents russe et canadien. Il s’agit pour le Canada et la Russie de lutter pour sa possession, et le contrôle des routes empruntables.


Les routes du Nord, nouvel Eldorado ?

L’Arctique est un océan. Contrairement à l’Antarctique, sous les neiges et la glace, on ne trouve que de l’eau. Ainsi, lorsque la glace fond, l’espace est navigable.
En ce qui concerne la souveraineté des îles arctiques et des eaux les entourant, Canada comme Russie, sont, au regard du Droit International, souverains sur ces zones dans la limite légale des 200 miles nautiques.
Le point d’accroche entre les pays est lié aux deux routes potentiellement praticables l’été, du fait du réchauffement climatique : la route du Nord et la route du Nord-ouest. Le Droit International pourrait, en vertu du droit de transit, autoriser le passage dans les eaux territoriales. C’est la position que soutient l’Union européenne.
Les États-Unis, longtemps opposés à la revendication russe de ces points de passage durant la Guerre froide, maintiennent leur raisonnement. Pour eux, il est impensable que la Russie ou le Canada décident qui peut ou ne peut pas emprunter ces passages.
Dans les faits, ces deux routes constitueraient un raccourci important pour les transporteurs maritimes et donc une économie de temps et d’argent. Jusqu’à présent, les transporteurs empruntent soit le Canal de Suez, soit le Canal de Panama. Les routes arctiques constitueraient un raccourci pour la plupart des trajets. Seuls les échanges d’un port méditerranéen à un port japonais restent plus courts via Suez.
Cependant, au-delà des distances, le véritable problème tient à la praticabilité des routes. En l’état, elles ne le sont que l’été. Les dates ne sont pas fixes, elles dépendent de la météo et de la dérive des icebergs. En fait, rien ne permet de prévoir avec suffisamment de fiabilité d’éventuels itinéraires et leur date de validité. Les transporteurs l’ont bien compris et manifestent peu d’intérêt pour les routes.
Choisir de passer au Nord suppose d’investir dans des bateaux plus résistants à la glace. Les impératifs liés à la navigation en eaux fraîches voire gelées impactent aussi la vitesse de navigation : pour être suffisamment manœuvrant, il faut être plus lent.
Ainsi, si, potentiellement, les routes pouvaient permettre de raccourcir les temps de transports, les investissements sont bien trop importants et pas assez viables pour être envisagés avec sérieux.
A noter enfin, les côtes canadiennes ne sont pas bordées de ports à même de recevoir les navires de transport.


Sous la glace, l’or noir

Le problème se répète en ce qui concerne le pétrole. On estime qu’il y aurait en Arctique 30% des réserves pétrolifères non exploitées. Cependant, l’exploitation d’éventuels puits se feraient via des plateformes offshore. Or, aucune technologie ne permet aujourd’hui d’extraire le pétrole dans des eaux si froides. En sus, l’hiver polaire, froid, venteux, où la nuit est permanente ne se prête pas à une exploitation industrielle. Robert Desnos dans La Liberté ou l’amour le décrivait ainsi : « Je sais quelle est l’agonie d’un navire pris dans la banquise, je connais le râle froid et la mort pharaonique des explorateurs arctiques et antarctiques, avec ses anges rouges et verts et le scorbut et la peau brûlée par le froid. »
Au-delà des risques pour les bateaux ou les employés, la dérive des icebergs menacerait la sécurité des plateformes. L’ombre d’une catastrophe similaire à celle de BP dans le golfe du Mexique en 2010 plane sur les compagnies pétrolières. Il serait, dans une telle situation, impossible d’endiguer une éventuelle marée noire et les conséquences sur l’écosystème seraient monumentales.
Au-delà de ces contraintes techniques se posent le problème de la possession du sous-sol. Il est malaisé de définir à qui appartient le sous-sol de l’Arctique. Au Canada, à la Russie ? Les soucis liés à la souveraineté des passages se retrouvent en ce qui concerne le fond marin. D’autant que la règle des 200 miles nautiques rencontre un obstacle en ce que l’écart entre la plateforme russe et la plateforme canadienne n’est pas suffisant, ce qui cause un chevauchement. Enfin, les deux pays ont exploité une clause permettant d’étendre de 150 milles ces zones de possession en se basant sur les plateaux continentaux.

L’imposture climatique ?

L’ironie des problèmes posés par l’Arctique tient au fait que le réchauffement climatique a mis au jour les nouveaux enjeux qui prennent place là où se tenaient auparavant les icebergs alors même que ces derniers n’ont pas assez fondu pour permettre la concrétisation des potentialités.
La question climatique est bien loin des arguments soulevés par les parties. Seul le Canada y fait référence afin de plaider pour un contrôle dont il aurait la charge afin de contrôler le trafic arctique et donc son impact sur l’écosystème.
Finalement, l’enjeu arctique traduit plus encore le recentrage économique hors Méditerranée. L’Union Européenne a parfaitement saisi que si les routes du Nord venaient à être privilégiées, cela mettrait à mal son leadership économique. La montée de la Chine s’est accompagnée d’un recentrage sur la zone pacifique.
Alors que d’aucuns annoncent des heures glorieuses pour la Russie, la fonte des glaces pourrait déboucher sur un nouvel axe : l’axe Amérique du Nord – Chine – Russie.
L’enjeu dépasse même le déclin de l’Europe. Le canal de Suez constitue une source de revenus sans égale pour une Egypte en pleine mutation. Son désengorgement au profit des routes du Nord priverait le pays de liquidités indispensable à sa santé économique.
Néanmoins, ces réflexions relèvent de la science-fiction tant il sera difficile pour Russie et Canada de s’entendre sur les possessions de la zone.
Alors que certains chercheurs plaident pour la transposition du régime juridique entourant l’Antarctique la nature même des deux zones –terre et mer- rend cela difficile à envisager et permet le maintien d’un statuquo qui, finalement, ne dérange personne.